Les causes de l’anxiété hétérosociale

illustration cause anxiété hétérosociale
Les difficultés qu’on peut rencontrer en présence du sexe opposé (être mal à l’aise, ne pas savoir quoi dire, se sentir paralysé…), on appel cela les difficultés hétérosociales. Ces difficultés présentent une origine complexe et multifactorielle qui implique principalement la présence d’anxiété hétérosociale excessive et de facteurs comportementaux, cognitifs, attentionnels, physiques et motivationnels. Dans cet article, nous allons présenter les cinq modèles scientifiques qui expliquent comment se développe l’anxiété hétérosociale.

Avant de commencer la lecture de cet article, je vous invite à lire l’article suivant qui représente une bonne introduction à ce sujet : Comprendre l’anxiété hétérosociale

Apprentissage de l’anxiété

Ce modèle stipule que les difficultés hétérosociales sont causées par une anxiété apprise par l’individu (Arkowitz, et al, 1978). Il part du principe que les compétences hétérosociales sont présentes (savoir mener une conversation, savoir repérer les signes d’intérêt et de désintérêt…) et que c’est l’anxiété qui est la cause première des difficultés hétérosociales.

Les auteurs suggèrent qu’on peut apprendre à devenir anxieux de deux façons :

    1. Apprentissage par conditionnement classique : ce modèle part du principe que lors de nos premières relations avec le sexe opposé, on a pu ressentir une certaine appréhension anxieuse qui peut être liée à la nouveauté de la situation pour les adolescents, à un fort désir de se mettre en couple ou à une anxiété de performance en raison des conséquences sociales importantes en cas d’échec. Cette appréhension est tout à fait normal et dans la plupart des cas elle diminue au fur et à mesure des expériences. Cependant, chez certaines personnes cette appréhension était présente de manière répétée et intense, la personne a donc appris à son insu à associer de l’anxiété aux situations hétérosociales. Et au fil des répétitions, cet apprentissage a pu se renforcer et se généraliser à d’autres situations (parler aux personnes de sexe opposée de manière générale).
    2. Apprentissage par conditionnement opérant : une personne ayant un échec important ou une répétition d’échecs romantiques peut développer une anxiété spécifique à ces situations. En échouant plusieurs fois, la personne apprend que les situations hétérosociales apportent des résultats négatifs (punition). Les initiatives prises en situation hétérosociale (parler à une personne de sexe opposé, oser lui proposer un rendez-vous…) vont donc diminuer et la personne ressentira une anxiété anticipatrice de peur de revivre les sensations désagréables d’échec. Clark and Wells (1995) montrent en effet que les individus anxieux associent de fortes conséquences négatives à un risque d’échec social. En résumé, ce modèle part du principe que l’anxiété est secondaire, et que la cause première des difficultés est une répétition d’échecs. Plusieurs modèles tentent d’expliquer la raison de ces échecs répétés : cela peut concerner un physique non mis en valeur (Berscheid and Walster, 1974), un style relationnel non-sécurisant (Jon M. Gransee, 2000) ou un déficit en compétences hétérosociales (Curran, Gilbert, and Little, 1976…).

Je rajouterais la possibilité d’apprendre à être anxieux par apprentissage social. Il est possible d’apprendre à devenir anxieux simplement en observant une attitude anxieuse présente chez nos parents.

Attirance physique

Ce modèle suggère qu’un physique peu valorisant (aspect vestimentaire, look…) va être la cause de l’anxiété en participant directement à produire une série d’échecs romantiques (Berscheid et Walster, 1974). Le physique joue en effet un rôle dans le choix du partenaire romantique, surtout au début de la relation lorsque l’on dispose de peu d’informations sur la personne.
Susana Lucia Kugeares (2002) suggère une possible relation bidirectionnelle : le fait d’avoir de bonnes compétences sociales peut aussi faire paraître quelqu’un comme plus attirant qu’il ne l’est. Or l’anxiété étant corrélé à de faibles compétences hétérosociales (Hope & Heimberg, 1990), elle peut rendre les individus moins attirants qu’ils ne le sont vraiment.

Déficit en compétences hétérosociales

D’autre modèles comportementalistes expliquent l’anxiété et les difficultés hétérosociales par un déficit en compétences sociales et hétérosociales (Twentyman & McFall, 1975). L’anxiété hétérosociale est systématiquement corrélée à de faibles performances hétérosociales. Contrairement aux sujets confiants, les sujets anxieux font plus fréquemment de longues pauses dans la conversation, ont moins de chose à dire et amène plus souvent des sujets négatifs (Susana Lucia Kugeares, 2002). Les différents auteurs interprètent ces faibles performances comme résultant d’un déficit en compétences hétérosociales. L’absence de ces compétences entraînerait des échecs répétés, ce qui induirait dans un second temps, une anxiété liée à l’anticipation des conséquences négatives.

Interférence cognitive

A l’inverse du modèle précédent, le modèle de l’interférence cognitive attribue une autre cause aux faibles performances manifestées par les sujets anxieux. Ce modèle explique que ces personnes ont de bonnes compétences sociales et hétérosociales, mais que les faibles performances manifestées sont causées par l’anxiété qui inhibe ou interfère avec les compétences sociales. L’anxiété peut faire que ces personnes perdent leur moyen en raison de son effet inhibant ou de son action sur l’attention.
Certaines études suggèrent que les personnes souffrant d’anxiété sociale vont porter leur attention d’avantage sur elle-même ou sur leur propre apparence que sur la personne avec qui elles interagissent (O’Banion & Arkowitz, 1977), ce qui les empêche de percevoir certaines informations sociales importantes envoyées par leur partenaire (Clark & Arkowitz, 1975) rendant ainsi plus difficile l’interaction.
A l’inverse, d’autres études montrent que l’attention de la personne anxieuse va se déplacer sur le partenaire de l’interaction en sélectionnant les informations de manière biaisée. Hope and Heimberg (1990) montrent que les personnes fortement anxieuses se souviennent mieux des commentaires négatifs, qu’ils anticipent plus les évaluations négatives faites par les autres et qu’ils interprètent plus souvent les commentaires neutres comme négatifs. Rapee & Heimbertg (1997) synthétisent plus tard ces résultats en expliquant que les adultes fortement anxieux se forment une représentation mentale de ce qu’ils croient que les autres pensent d’eux, et compare cette représentation aux attentes des autres concernant leur performance sociales.
En résumé, une attention portée sur des éléments négatifs ou peu pertinents ne permet pas à une personne de disposer de tous ses moyens pour interagir correctement même si elle a les compétences pour le faire.

Dysfonctions dans l’évaluation de soi

L’approche cognitiviste suivante stipule que l’anxiété provient de biais dans l’évaluation de soi (Schlenker & Leary, 1985). Le modèle comportemental plus classique explique que l’anxiété serait causée par l’expérience négative issue d’une série d’échecs. Or ce modèle-ci stipule qu’il n’est pas nécessaire que la personne se confronte à de réels échecs pour vivre une expérience douloureuse et générer de l’anxiété. Ce qui compte avant tout c’est que la personne perçoive sa performance comme un échec, qu’elle le soit ou pas. En effet, c’est la perception subjective qu’à une personne de la réalité qui va moduler les émotions qu’elle ressentira plutôt que la réalité elle-même.
Plusieurs études ont montré que les personnes souffrant d’anxiété hétérosociale font plus d’auto-évaluations négatives et s’attendent plus souvent à un échec concernant leurs performances hétérosociales. De plus, les critères d’évaluation de leurs propres performances sociales sont souvent très élevés et inatteignables. Ceci s’explique soit à cause d’une motivation excessive à impressionner les autres et à obtenir leur approbation (Hope & Heimberg, 1990) soit par la croyance que les autres ont des attentes élevées en matière de performances sociales (Clark and Wells, 1995). Enfin, les individus fortement anxieux ont tendance à interpréter négativement des signaux sociaux neutres ou ambigus, ce qui les amène à percevoir des échecs sans que ce ne soit réellement le cas (Voncken, Bogels, & Vries, 2004).
En résumé, ce modèle justifie l’anxiété par la perception d’échecs répétés causé par des biais dans le traitement d’informations concernant l’évaluation de soi, de ses propres performances et de ce que les autres pensent de soi.

Modèle de Présentation de Soi

Le Modèle de Présentation de Soi (Self-Presentational Model ; Schlenker & Leary, 1982; 1985) propose une explication multidimensionnelle de l’anxiété hétérosociale en proposant un lien cohérent entre évaluations de soi négatives, attirance physique et déficit en compétence sociale.

Ce modèle cognitivo-comportemental postule l’existence de deux conditions nécessaires pour activer l’anxiété hétérosociale :

  1. Une envie de créer une impression positive et désirable de soi auprès d’autres personnes
  2. Un doute sur ses propres capacités à créer cette impression

Dans un premier temps, la personne forme une image positive d’elle-même qu’elle souhaite présenter aux autres, puis dans un second temps elle évalue sa capacité à créer cette impression-là.Selon les auteurs, trois situations augmentent la motivation à créer une impression positive. Premièrement lorsque le partenaire est attirant ou de statut social élevé. Deuxièmement, lorsqu’il s’agit de situation de performance importante, comme lors d’un premier rendez-vous galant. Et dernièrement, lors de nouvelles situations lors desquelles les attentes des autres sont ambiguës ou que les normes ne sont pas claires.

Autres variables cognitives

Des études mettent en relief l’importance d’autres facteurs cognitifs dans l’anxiété hétérosociale, c’est notamment le cas du style attributionnel et des processus d’anticipation anxieuse.
Le style attributionnel fait référence à la façon dont les personnes vont attribuer une cause à un phénomène. Ces causes peuvent être perçues selon qu’elles soient contrôlables ou non, durables ou instables, et enfin qu’elles dépendent de facteurs liés à la personne ou de facteurs extérieurs. Selon cette approche, ce n’est donc pas tant le nombre d’échecs ou de réussites qui va déterminer le risque de souffrir d’anxiété hétérosociale, mais surtout la façon, propre à chacun, de percevoir les causes de ces évènements.
Les recherches montrent que les sujets anxieux s’attribuent plus de responsabilité pour les échecs en matière d’interactions sociales . Ces individus attribuent leurs mauvaises performances sociales à des causes internes, stables et peu contrôlable. A l’inverse, ils ont tendance à attribuer leurs succès à des causes externes, instables et peu contrôlable. Monroe A. Bruchz & Lesley Pearl (1995) trouvent des résultats similaires et ajoute que c’est le sentiment de contrôle qui est la dimension la plus importante. En effet, moins la personne a l’impression de contrôler les causes de ses réussites ou de ses échecs, plus elle sera anxieuse.
Ce facteur n’est cependant pas indépendant des autres théories déjà proposées car un lien peut être fait entre le style attributionnel et le Modèle de Présentation de Soi. En effet, les personnes qui vont avoir un sentiment de faible contrôle sur leurs interactions hétérosociales douteront plus de leur capacité à présenter une image d’elles positive. Cela produira en retour une forte anxiété lorsque leur motivation à créer une impression positive sera élevée.

Wesley D. Allan (2007) explique que les modèles et thérapies accordent beaucoup d’attention aux croyances dysfonctionnelles en laissant de côté les processus impliqués dans l’anticipation anxieuse. Son étude expérimentale va dans ce sens puisqu’elle montre que les pensées des individus anxieux ne contiennent pas seulement des croyances biaisées mais aussi une anticipation et une préparation excessive aux situations potentiellement anxieuse. De manière plus précise, en anticipation d’une situation hétérosociale, les individus anxieux vont plus avoir tendance à penser à leurs échecs précédents et au risque d’échouer à nouveau. Ils vont également se percevoir comme un observateur extérieur très critique, préparer précisément ce qu’ils vont dire et anticiper tout ce qu’il risque de se passer. Ces auteurs suggèrent que ce type de rumination serait une tentative de contrôler l’anxiété.

Style d’attachement insecure

Une théorie originale a été proposée par Jon M. Gransee (2000) pour expliquer des cas de difficultés hétérosociales qui ne répondent pas bien aux thérapies. Selon lui, les personnes qui n’ont pas bénéficié d’une base sécurisante sur laquelle s’appuyer avec les figures d’attachements infantiles vont développer un style d’attachement non-sécurisant et des croyances fondamentales inadaptées concernant leurs relations futures. Par exemple, les personnes qui se sont senties mal aimées développeront la croyance qu’elles ne sont pas dignes d’être aimées. Les personnes qui n’ont pas pu compter sur leurs figures d’attachements infantiles développeront la croyance que les autres ne sont pas dignes de confiance. Tous ces problèmes d’attachement infantiles non résolues vont s’actualiser sur les figures d’attachements actuelles et risquent de provoquer des difficultés et de la frustration. En raison d’une probable répétition d’échecs et d’une perception de non contrôle sur les évènements, ces personnes vont développer un syndrome d’impuissance acquise , par conséquent elles perdront toute motivation à interagir avec des partenaires romantiques potentiels. Bien que très pertinente, cette théorie provient de l’analyse d’un seul cas clinique (Jon M. Gransee, 2000), nous ne disposons donc pas de preuve solide nous permettant de généraliser l’existence de telles causes à l’ensemble de la population présentant des difficultés hétérosociales.
En conclusion, les difficultés hétérosociales présentent une étiologie complexe et multifactorielle qui implique principalement la présence d’anxiété hétérosociale excessive, un déficit en compétences sociales et hétérosociales, des biais cognitifs dans l’évaluation de soi et des autres et enfin un style d’attachement non-sécurisant.

Bibliographie

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